Rapport d’enquête technique sur la collision de deux bateaux à passagers sur la Seine à Paris 15e
Le samedi 2 septembre 2023 vers 22 h 50, le GRAND PAVOIS et L’IVOIRE, deux bateaux effectuant des dîners croisières sur la Seine à Paris, avec 136 et 91 passagers à bord, sont entrés en collision à la pointe aval de l’île aux Cygnes, soit juste à l’aval du pont de Grenelle. Après le choc, les bateaux sont allés s’amarrer au port de Grenelle.
16 personnes ont été blessées légèrement, parmi les passagers et le personnel de bord.
L’île aux Cygnes partage la Seine en deux bras et correspond à une zone d’évitage des bateaux à passagers. La soirée présente une pointe de trafic, liée au pic d’activité des bateaux restaurants, qui viennent virer les uns après les autres à l’aval de l’île, pour ensuite remonter la Seine. Certains effectuent à l’occasion de leur demi-tour des girations sur eux-mêmes afin que l’ensemble des passagers profite du même angle de vue sur la Statue de la Liberté (située sur la pointe aval de l’île) et la Tour Eiffel.
Une caméra, installée sur le pont de Grenelle dans le cadre de l’étude de trafic réalisée par VNF, a permis de visualiser la scène de l’accident.
Le GRAND PAVOIS vient réaliser son évitage tout en effectuant une rotation bâbord quasi complète sur lui-même, avant de se ré-axer partiellement en sens montant, via une contre giration tribord, et de repartir en marche avant en direction du bras de Passy duquel vient L’IVOIRE. C’est alors que ce dernier, avalant, commence à franchir à son tour le pont de Grenelle puis entame son évitage bâbord en direction du bras de Grenelle. Une trentaine de secondes plus tard, il percute de face le GRAND PAVOIS à son avant bâbord.
La cause directe de l’accident est l’engagement imprudent d’une manœuvre d’évitage, associé à la tardivité des actions correctives entreprises.
Le conducteur de L’IVOIRE a pensé que le GRAND PAVOIS allait mettre plus de temps pour réaliser ses manœuvres et donc que lui-même disposait d’assez de temps pour virer entre la pointe de l’île et cet autre bateau et il a pu d’ailleurs être surpris que ce dernier effectue ses girations un peu plus près de l’île qu’à son habitude.
Ensuite, compte tenu de l’évitage en cours et des caractéristiques de sa gouverne, mécanique, il était plus difficile pour lui d’agir sur la situation et le conducteur du GRAND PAVOIS paraissait disposer de plus de marges de manœuvre pour infléchir le cours des choses. Or, ce dernier paraît avoir entrepris une marche arrière d’urgence au dernier moment et après avoir été en accélération constante.
Plusieurs facteurs associés, ou contributifs, sont identifiés :
• les ambiguïtés liées aux différentes pratiques observées dans le secteur, dont des girations de bateaux sur eux-mêmes à une distance très variable de la pointe de l’île ;
• les conditions de visibilité plus réduites de nuit et des zones de contraste dans le secteur, pouvant induire des difficultés de perception des trajectoires des bateaux ;
• un AIS peu ergonomique dont les fonctionnalités ne peuvent pas aisément apporter l’aide nécessaire à l’identification des bateaux aux alentours, qui de fait n’est pas utilisé ;
• des modalités non opérantes des communications VHF et des pratiques non adaptées ;
• un manque de vigilance et des biais de perception, liés à la force des habitudes, à la pression horaire, voire à une forme de sur-confiance ou d’attachement à la règle.
Par ailleurs, à l’occasion d’une navigation effectuée à bord de L’IVOIRE, le BEA-TT a fait l’expérience d’une situation de quasi-accident, liée en premier lieu au contexte de fort courant de la Seine, puis, en second lieu, à un blocage de la barre du bateau. Ces conditions de navigation ont également été rencontrées lors de plusieurs accidents impliquant des bateaux à passagers dans la traversée de Paris entre décembre 2023 et mai 2024. Ces évènements ont été intégrés aux analyses du BEA-TT.
L’analyse de l’accident a également été l’occasion pour le BEA-TT de faire un point sur certaines des recommandations énoncées dans le cadre de la mission conduite en 2016 par les inspections générales (CGEDD et IGA) sur le renforcement de la sécurité de la navigation sur le bief parisien de la Seine.
Au vu de ces éléments et compte tenu du contexte relatif aux conditions délicates de navigation sur la Seine dans la traversée de Paris, le BEA-TT formule 5 recommandations et 7 invitations, en lien avec :
• les modalités de contrôle des bateaux et le prochain renouvellement du titre de navigation de L’IVOIRE (1 recommandation et 3 invitations) ;
• les mesures à prévoir dans le cadre de la révision du règlement particulier de police (RPP) de la navigation de manière à réglementer les manœuvres réalisées à l’aval de l’île aux Cygnes et à prescrire l’équipement d’un système de type ECDIS, afin de faciliter et ainsi de renforcer la consultation par leurs conducteurs des données émanant de l’AIS (2 recommandations) ;
• les possibles besoins complémentaires des navigants en matière d’éclairage des ponts à Paris (1 invitation) ;
• l’amélioration des pratiques en matière de communications et d’annonces effectuées par radio VHF par les conducteurs de bateau (2 recommandations et 3 invitations portant sur l’application à la traversée de Paris et les modalités plus générales relatives aux examens réglementaires et aux dispositions du règlement général de police).
Le BEA-TT formule également quelques remarques en lien avec les réflexions qui sont en cours, dans le cadre de la révision du RPP, pour faire évoluer la réglementation de la navigation en situation de crue.
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