Rapport d’enquête sur le naufrage du PAMPERO le 18/02/2020 à l’écluse de Sablons

La Compagnie nationale du Rhône (CNR) est concessionnaire, concepteur et exploitant des ouvrages hydroélectriques du Rhône. Pour chaque aménagement, le principe consiste à édifier sur le fleuve un barrage de retenue afin de générer une chute et à aménager un canal de dérivation qui permet la navigation et sur lequel sont installées une usine et une écluse. Cela forme ainsi une succession de paliers, chacun étant séparé du suivant par une écluse. L’itinéraire de Lyon à la mer comprend ainsi 14 écluses à grand gabarit, automatisées et téléconduites.
Les écluses sont téléconduites par les opérateurs du Centre de Gestion de la Navigation (CGN), rattaché à l’une des directions du siège de la CNR. L’écluse située sur la commune de Sablons, en Isère, fait partie de l’aménagement hydroélectrique du Péage‑de-Roussillon, qui est géré par l’une des directions territoriales de la CNR, cette direction territoriale est l’exploitant de l’écluse.
La porte aval de l’écluse de Sablons, pesant 90 tonnes, est à déplacement latéral. Elle est constituée de 4 caissons assemblés entre eux par un système de bretelles et d’indexages et est suspendue à un chariot, situé 6 m plus haut et relié à un treuil. L’actionnement du treuil permet d’activer le mouvement du chariot, qui translate sur des rails et entraîne le déplacement de la porte.

Le 18 février 2020 vers 0 h 30, le bateau-citerne PAMPERO, appartenant à la société CFT Gaz, mesurant 120 m de long et transportant 2 200 tonnes de chlorure de vinyle dans ses cuves, est amarré dans le sas de l’écluse. Parmi les cinq membres d’équipage, trois dorment. Alors que le remplissage du sas est réalisé aux deux tiers, un, voire deux, des caissons intermédiaires de la porte aval de l’écluse cèdent. Le sas se vide alors précipitamment.
Le bateau est entraîné vers l’arrière par le courant créé, les amarres cèdent, le capitaine déclenche l’alarme et embraye à fond les moteurs vers l’avant afin de compenser le courant. Il parvient, avec le matelot, à évacuer la timonerie avant qu’elle ne soit arrachée en heurtant les poutres en béton qui constituent en partie supérieure la tête de l’écluse. Le PAMPERO heurte l’élément supérieur de la porte qui reste encastré au bateau lors de son expulsion du sas.
Le bateau part à la dérive vers l’aval puis revient en marche avant. Il heurte l’entrée de l’écluse, bien que l’équipage soit parvenu entre-temps à stopper les moteurs en salle des machines, puis finit par se stabiliser. L’équipage parvient à l’arrimer puis, compte tenu de la perception de fuites de gaz, évacue le bateau et rejoint la rive, en sautant à l’eau.
Excepté quelques douleurs, aucun dommage corporel n’est à déplorer, l’équipage a par contre été très choqué. Les opérateurs du CGN ont été choqués par l’accident.
Le dispositif de gestion de crises a été piloté par le préfet de l’Isère, avec l’appui du SDIS et de la DREAL, qui ont chacun sollicité une expertise externe, et la contribution de la DDT du Rhône pour les aspects propres à la stabilité du bateau. Il a été activé durant trois semaines, le temps de traiter, non sans difficultés, les fuites de gaz, de sécuriser le bateau et de réaliser les opérations délicates de dépotage de sa cargaison. La gestion de l’évènement a fait l’objet d’une forte coordination entre les acteurs concernés et d’une mobilisation de moyens opérationnels importants de la part du SDIS et de CFT Gaz.
Le fait que l’accident implique un bateau de matières dangereuses a rendu cette gestion complexe du fait des risques liés au produit, le chlorure de vinyle étant un gaz toxique et très inflammable. Le transport de matières dangereuses est bien développé sur le Rhône. A contrario, il peut être souligné la bonne résistance de ce type de bateau, comme un double coque. Les cuves de gaz, isolées, sont restées intactes, les fuites ont concerné les tuyauteries sur le pont. Les bonnes réactions dont a fait preuve l’équipage, dont le capitaine en particulier, sont aussi à mettre en lien avec ce type de bateau en général, et à la forte culture de la sécurité de CFT Gaz en particulier.
Très endommagé, le bateau a fini par être remorqué neuf mois après l’accident, moyennant une lourde préparation de la part de son propriétaire.
L’évènement a généré un arrêt du trafic fluvial durant près de six semaines sur cette portion du fleuve Rhône qui constitue un axe majeur de la circulation des marchandises.
La CNR a fait preuve d’une grande réactivité pour effectuer les réparations nécessaires et remplacer la porte aval de l’écluse, répondre aux exigences du service de la DREAL chargé du contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques et établir son rapport d’analyse des causes de l’accident.

Le comportement des automates de l’écluse lors de l’éclusage accidentel a été conforme à leurs attendus. Les constats sur les éléments de la porte et l’analyse des vidéos de l’éclusage montrent que la porte n’était pas dans la position nominale d’une porte fermée lorsque l’automate a considéré qu’elle était fermée.

Les causes directes de l’accident sont une perte du couplage entre les positions du chariot et de la porte, en raison d’un blocage survenu au niveau de la porte en fin de manœuvre de fermeture et rendue possible par le non-fonctionnement de la protection de la surcharge mécanique du treuil. Le chariot a ainsi pu atteindre sa position nominale, sans que cela ne soit le cas de la porte, et activer les capteurs rentrant dans les automatismes. Le blocage pourrait être lié à un bois flottant.

Les autres éléments qui auraient pu contribuer à assurer une protection vis-à-vis d’une telle configuration, tels que le contrôle du temps de manœuvre de la porte et la limitation de courant au niveau du variateur de vitesse, n’étaient pas paramétrés dans une optique de sécurité. Suite à l’accident, la CNR a procédé aux réglages nécessaires et a actualisé l’étude de danger en intégrant le scénario d’une rupture d’une porte de l’écluse, lié à un défaut de fermeture qui conduirait au mauvais engagement de la porte dans sa rainure et donc à un mauvais alignement avec ses pièces fixes d’appui.
Pour le cas présent de l’écluse de Sablons, l’analyse du BEA-TT et celle faite par la CNR mettent en évidence des fragilités dans le domaine de la maintenance – surveillance de l’ouvrage. Celles-ci, ainsi que des lacunes en termes d’identification des risques, ont contribué à la manifestation des causes directes de l’accident.
Il apparaît également que, si l’écluse est couverte par la réglementation sur la sécurité des ouvrages hydrauliques, elle semble être prise en compte dans ce cadre d’une manière plus sommaire, par comparaison aux autres ouvrages de l’aménagement, tels que le barrage et l’usine hydroélectrique. Cela paraît concerner, tant les modalités nationales de mise en œuvre de cette politique, que la manière dont la CNR, à son niveau, transcrit ses obligations réglementaires. Cet état de fait a pu directement contribuer à ce que l’analyse de risques liés aux défaillances de la porte ne soit pas réalisée de manière assez approfondie dans le cadre de l’étude de danger. Néanmoins, la CNR a mis en place des opérations de surveillance et de contrôle des écluses au-delà du champ réglementaire de la sécurité des ouvrages hydrauliques.
Les écluses rentrent également dans le champ d’application de la directive européenne relative aux machines, mais celle-ci ne s’applique pas, réglementairement parlant, aux ouvrages pré-existants au moment de sa publication, du moins tant qu’ils ne font pas l’objet de modifications significatives. Son application aux écluses ne fait pas l’objet d’un suivi ou de contrôles.
Les écluses constituent aussi, et logiquement en premier lieu, des ouvrages d’infrastructure de navigation intérieure. Cette catégorie d’ouvrage est la seule pour laquelle les dispositions de la loi SIST1 n’ont pas été déclinées réglementairement. Un projet de décret d’application avait été préparé à cette fin. Les dispositions qui avaient été envisagées sont assez proches, dans l’esprit, de celles introduites par la directive sur les machines. Elles permettraient d’étudier plus finement les risques associés aux écluses vis-à-vis des navigants qui l’empruntent et de couvrir le vide juridique concernant certains autres ouvrages d’infrastructure de navigation.

L’analyse a conduit par ailleurs le BEA-TT à rechercher des orientations préventives en lien avec la gestion des bois flottants aux abords des écluses et les process des opérateurs de téléconduite.
Il est possible que les conséquences aient été plus dramatiques si l’accident avait impliqué, par exemple, un bateau avec 200 passagers étrangers plutôt âgés à bord, qui est l’une des clientèles majoritaires des paquebots fluviaux, qui connaissent un fort essor sur le bassin Rhône-Saône ces dernières années.

Partager la page

Sur le même sujet